1000 km de Spa Francorchamps 1973
La course des gros cœurs
Henri Pescarolo détient le record absolu en course de l’ancien circuit de Spa Francorchamps (1) (14,120 km) en 3’13’’4, moyenne 262,461 km/h. Voici comment il en parle (2) : "Compte tenu de la longueur du circuit, nous ne pouvions faire que quelques tours durant les essais. Cela ne nous donnait que peu de temps pour comprendre le comportement de la voiture et faire les changements appropriés. J’ai toujours aimé les virages rapides et la Matra 670 aussi. Après Les Combes, nous arrivions sur les enchaînements de Burnenville, Malmédy, Masta, Stavelot. Dans la courbe de Burnenville, nous passions à 300 kilomètres/heure sur une surface instable, nous étions les rois ... Le châssis était incroyable. Vous pourriez penser que dans les longues lignes droites, nous pouvions nous reposer un peu entre deux virages : erreur, en fait nous n’avions pas le temps de reprendre notre souffle. À 300 kilomètres/heure, nous savions que la moindre erreur pouvait tourner à la catastrophe ".
A l’approche de la course belge quatre épreuves se sont déroulées en ce début du Championnat Mondial des Marques : Les 24 Heures de Daytona puis Vallelunga-Dijon où la Matra 670 a triomphé lors des 1000km et Monza théâtre de la revanche Ferrari qui a battu l’équipe française avec sa 312PB. Première course de la saison, les 24 H de Daytona consacrèrent la Porsche Carrera 3L des Américains Gregg-Haywood. Matra avec une auto et Mirage Cosworth avec deux enregistrèrent trois abandons, mordant donc la poussière lors de cette longue épreuve. Ferrari qui comptait sur les Daytona GT engagées par le N.A.R.T en Floride n’avait pas déplacé ses protos. Il faut dire que les prototypes italiens, français et britanniques s’apparentaient plus à des Formule 1 déguisées que des voitures de sport vouées à l’endurance. 15 points rentrèrent dans l’escarcelle de la firme italienne grâce à la seconde place d’une Daytona GT à Daytona!
Sur le circuit de Spa, Mirage présente deux voitures à moteur Ford Cosworth aux mains de Derek Bell, Howden Ganley, Mike Hailwood et Vern Schuppan. Deux Ferrari 312PB seront menées par Jacky Ickx- Brian Redman et Arturo Merzario- Carlos Pace.
L’effectif habituel chez Matra est bouleversé à Spa. Jean Pierre Beltoise et François Cevert ont prévenu depuis longtemps qu’ils n’y courraient pas jugeant la sécurité précaire. Les remplaçants ne se bousculent pas d’autant qu’une épreuve F2 se déroule le même week-end. Matra fait alors appel à deux de ses ex-pilotes : Chris Amon et Graham Hill. Les deux briscards sont cependant en manque d’entraînement pour courir sur cet exigeant tracé. Henri Pescarolo et Gérard Larrousse se présentent donc comme l’équipage de pointe de l’écurie. Les autres concurrents hormis la Porsche Carrera de Gijs V.Lennep- Herbert Müller engagée en sport 3litres appartiennent aux catégories Sport 2L et Grand Tourisme. Ils ne peuvent prétendre à la victoire sauf hécatombe. Cette épreuve atypique peut cependant réserver une surprise tant le circuit est difficile. Parmi le peloton des protos 2L on note trois Chevron Ford B23 et une B21. Seule représentante féminine sur cette course, Christine Beckers pilote l’une d’elles. Associée à Roger Dubos elle finira neuvième de la course prouvant que le gros cœur n’est pas seulement l’apanage de la gent masculine. Deux Lola Ford T 292 complète ce plateau. Côté Grand tourisme on compte quatre Porsche Carrera, une 3L et trois 2.8L, elles côtoient la Ferrari 365 GTB4 de l’écurie Francorchamps. Enfin concourent deux BMW 3.0 CSL Alpina que se partagent Niki Lauda, Hans Stuck et Brian Muir. Elles sont inscrites en catégorie Tourisme Groupe 2.
A l’issue des essais, Jacky Ickx s’empare de la pole sur la piste ardennaise qu’il connaît comme sa poche : 3’12’’7, le pilote belge a battu le record de Pedro Rodriguez sur la Porsche 917. Il faut dire que les soucis de Matra ont aidé Ickx car Larrousse a brusquement explosé son moteur, celui-ci a répandu de l’huile sur les échappements mais le feu a été vite circonscrit. Plus de peur que de mal, la voiture sera prête pour la course mais les essais des deux pilotes ont été écourtés, ils obtiennent cependant le second temps. Amon-Hill signent un sixième temps décevant derrière les deux équipages des Mirage : dans l’ordre Hailwood-Schuppan puis Bell-Ganley. Merzario-Pace obtiennent le 3ème temps au volant de la seconde Ferrari. Deux voitures ne passeront pas le cap des essais : l’Alfa-Roméo 33TT12 de Rolf Stommelen-Andréa De Adamich est fortement endommagée lors d’une sortie contre les rails sans conséquence pour son pilote. De même la Lola T282 pilotée par Jean Louis Lafosse-Hughes De Fierlant victime d’un bris de suspension percute aussi les rails. Elle est détruite, Lafosse s’en sort pour une belle frayeur. Le secteur Burnenville-Malmédy-Masta-Stavelot est décidément fort périlleux. Les vitesses de passage y sont démentes même si la chicane de Malmédy contribue à ralentir la portion.
La course de dimanche se prépare, vingt voitures sont amenées sur la grille. Malheureusement l’organisation va défaillir. Les concurrents n’ont pas droit à un tour de mise en grille, étonnant! Le départ va être donné dans la précipitation. Lorsque le drapeau s’abaisse, des mécanos sont encore autour des voitures, celles de Hailwood et Amon qui ont du mal à démarrer leur moteur…Ils vont gicler in extremis dans une débandade qui aurait pu mal tourner.
Les deux Matra déboulent en tête dans l’Eau Rouge sous la direction de Pescarolo. Ickx va vite prendre le dessus sur Amon, il part à la poursuite de Pesca mais Henri est très à l’aise au volant d’une Matra rivalisant d’équilibre dans les courbes rapides. Après 11 tours le Français a engrangé 11 secondes d’avance sur le belge. Les deux hommes sont les patrons. Pace va bientôt stopper sa Ferrari pour un problème d’allumage tandis que les Mirage roulent un ton en dessous leurs adversaires. Pescarolo sur la N°4 déchape soudainement au 12ème tour mais va rentrer sans dommage au stand pour changer sa roue. Cet incident va se reproduire rien moins que deux fois, hypothéquant sa course ainsi que celle de son équipier. Le même souci va toucher Amon. Dès lors Ickx a le champ libre, les Matra ne peuvent défendre leur chance à la régulière d’autant que la numéro 3 va casser plus tard son moteur (48è tour).
Le parcours de Jacky ne sera cependant pas une longue course tranquille, en cause les radiateurs d’huile de boîte des belles italiennes. Les vibrations provoquent des fuites, les montages des radiateurs sont défaillants. Ickx va renoncer en panne de boîte tandis que Merzario-Pace vont se traîner en fin de course avec seulement trois rapports inférieurs disponibles.
Les Mirage M6 profitent bien sûr de l’aubaine, elles vont enregistrer un beau doublé sous le drapeau à damier. Elles remportent leur première victoire en endurance, une récompense pour la courageuse équipe britannique dont le budget est inférieur à celui de ses concurrentes. Bell-Hailwood l’emportent devant leurs équipiers Schuppan-Ganley (Hailwood et Ganley ont permuté leur poste en cours d’épreuve). Pescarolo qui avait repris la voiture d’Amon-Hill moins retardée lors des déchapages finit troisième devant la Ferrari malade de Merzario. V.Lennep-Müller mène la Porsche Carrera 3L à la cinquième place.
Une âpre bataille va se jouer entre Matra et Ferrari par la suite, les deux marques vont se tenir à la semelle jusqu’à la dernière course. Ferrari manquera le coche lors de la Targa Florio où Matra était absent, la Porsche Carrera y signe une seconde victoire. Les français remportent les 24H du Mans après une longue bataille avec les voitures de Maranello puis les 1000 km d’Autriche. Ferrari s’adjuge les 1000 km du Nüburgring. A la veille de la course de Watkins Glen qui marquera la fin de la saison en raison de l’annulation des 1000km de Buenos-Aires, on en est à 2 victoires à 4 en faveur de Matra. Ferrari a comptabilisé cependant plus de places d’honneur que sa rivale. Tout était mathématiquement possible avant la dernière course aux Etats Unis sur le circuit de Watkins Glen... Matra fait la différence et s’impose. Les sept meilleurs résultats de la saison comptant pour l’attribution du titre, Matra l’emporte pour 9 points, s’adjugeant cinq victoires sur les dix courses du Championnat.
1- C’est à ce jour le record tous circuits routiers confondus
2- extrait presse
SdS
Photos: DR