Vingt-quatre voitures vont s’aligner sur la grille de départ après ce tour de formation. Le pilote détenteur de la pole va immobiliser sa monoplace sur la gauche de la piste. Il lance un regard furtif sur la ligne droite où les volutes de chaleur troublent la vision au dessus de la piste. A peine tourne-t-il la tête vers la gauche pour surveiller le préposé au drapeau sur son perchoir que ce dernier l’abaisse. La meute s’élance...
Une hésitation d’une fraction de seconde et le poleman se fait déborder par plusieurs monoplaces sur sa droite.
Ces dernières n’ont même pas eu à s’immobiliser sur leur ligne au baissé du drapeau, elles sont parties sur leur élan comme la suite de la grille. En sortant de la longue courbe au fond du circuit, le pilote le plus rapide des essais, probablement déstabilisé par ce départ peu académique, pointe à la septième place. Cinquante-quatre tours complets sont encore à couvrir. Au premier passage devant les stands la tête de course franchit la ligne à trois de front, une course qui s’annonce fiévreusement disputée sous le signe de l’aspiration.
Notre poleman navigue entre les huitième, neuvième et dixième place jusqu’au quinzième tour alors que Regazzoni, Peterson, Stewart et Cevert bataillent aux avant postes. La situation de « Poleman » va ensuite s’améliorer certes à la faveur des abandons de Ickx, Stewart et Regazzoni mais probablement grâce au retour de la confiance qui tend à le propulser au rang conquis lors des qualifications. La préparation de sa voiture a été particulièrement soignée. Son équipe a fait l’impasse sur le dernier Grand Prix pour faire évoluer son moteur et peaufiner l’aérodynamique.
Il va ainsi remonter sur les leaders. Sixième position des tours 18 à 27 puis cinquième, quatrième des tours 28 à 36 tandis que Siffert puis Cevert, Peterson et Hailwood en décousent aux premières places.
Trente septième tour : passage à l’offensive. « Poleman » s’empare de la première position. Et il tient sa place avec pugnacité durant dix tours bien décidé à tenter sa chance, poursuivre sa course vers le succès…Cevert reprend souvent la première place au fond du circuit mais au jeu de l’aspiration « Poleman » repasse en tête sur la ligne…Jusqu’à une manœuvre fatale : arracher le tear-off maculé d’huile sur sa visière. C’est la visière complète qui va s’envoler…Et une possible victoire avec. La pression de l’air insupportable sur ses yeux le force à ralentir dans les derniers tours pendant que cinq chiffonniers vont en découdre dans un rush final ébouriffant.
Peter Gethin tire d’un souffle le ticket gagnant devant Peterson, Cevert, Hailwood et Ganley. Chris Amon au volant de la Matra MS 120B a les yeux rouges lorsqu’il franchit la ligne d’arrivée de ce Grand Prix d’Italie 1971 en sixième position.
Ne me dîtes pas qu’il n’aurait pas forcément gagné sans ce stupide incident ! Nous entrons dans le domaine de l’irrationnel, à la frontière de l’ésotérisme…Pour moi il l’emportait inévitablement.
PS
Photos : DR