24 H du Mans 1970
La firme Matra connut une saison faste en 1969. L’équipe Tyrrell (Matra international) remporte le Championnat du Monde F.1 avec le châssis MS 80 mu par le Cosworth. J. Servoz Gavin empoche le titre européen de F2 sur la MS7. L’équipe fait bonne figure en catégorie sport prototype notamment au Mans où trois voitures sont classées aux quatrième, cinquième et septième places. Suite à cette période favorable 1970 ouvre les prochains enjeux de la firme de Vélizy. Le V12 maison équipe la nouvelle F.1 MS 120 et La victoire au Mans demeure le défi lancé par Jean Luc Lagardère...
Cent chevaux qui comptent
Un défi plutôt osé lorsqu’on prend en compte les armadas Porsche et Ferrari qui vont battre le fer dans la Sarthe à cylindrée égale, 5 litres. Des autos censées être des « voitures de sport » mais qui sont en fait de véritables protos construits à 25 exemplaires avec 2000 cm3 de plus que ceux de la catégorie « prototypes » limités à 3000cm3.Le V12 3 litres Matra, s'il a bien évolué dans sa version MS12, rend une bonne centaine de chevaux aux productions italiennes et germaniques. Le PDG français si pressé de conquérir Le Mans tente une gageure car de la part de Porsche et Ferrari il s’agit bien d’un « léger » contournement de réglementation.
Porsche 917 L
Ferrari 512 S
Une saison laborieuse
Le clan Matra fourbit ses armes en vue de l’épreuve phare. L’équipe est sur le pied de guerre dès le mois de janvier à Buenos Aires où Beltoise et Pescarolo remportent les 1000 km. Daytona suit, une répétition sur deux tours d’horloge. Jack Brabham vient renforcer les rangs des pilotes maison Beltoise, Pescarolo, Cevert au volant des 650. Amortisseurs, embrayage, allumage : la liste des soucis ne va pas épargner les bleus. Pilotes et mécanos ont eu du pain sur la planche pour amener les deux protos à l’arrivée aux dixième et dix-huitième places. A Sebring où Gurney et Servoz Gavin remplacent Brabham et Beltoise retenus en Europe les deux voitures terminent cinquième et douzième. La campagne nord américaine a vu au moins les 650 finir leur course. Il est à noter que l’arrivée chez Matra de François Cevert au sein d’un effectif de pilotes très confirmés s’est déroulée favorablement pour l’intéressé. Issu de la F2 le pilote parisien s’est intégré facilement. Il s’est hissé rapidement au niveau de ses illustres équipiers Jack Brabham et Dan Gurney. Une victoire mais hors championnat vint d’ailleurs récompenser le duo Brabham-Cevert lors des 1000 km de Paris en fin de saison.
Objectif Le Mans
Après les courses de Brands Hatch et Monza sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement l’impasse est faite sur Spa de même que la Targa Florio et le Nürburgring dont les circuits sont très éloignés des contraintes du Mans. Pourtant ce sont ces deux épreuves-là qui étaient à la portée d’une 650 ou d’une 660. Porsche y engageait ses 908/3 3L et Ferrari ses trop volumineuses et lourdes 512S. Matra peaufine donc sa préparation pour les 24 Heures. Le handicap est conséquent face aux nombreuses « sport 5L » mais impossible ne fait pas partie du vocabulaire du PDG de Matra.
Essais – course : la quadrature des segments :
Jack Brabham
Trois protos arrivent en terre sarthoise. La dernière création de la marque, la 660 châssis monocoque et deux 650. La 650 de Brabham-Cevert possède une « poupe » profilée. La seconde à capot arrière conventionnel est pilotée par Jabouille et Depailler qui arrivent en renfort. Les essais débutent, Beltoise et Pescarolo ne sont pas satisfaits de leur 660 longue queue. Brabham « l’ancien » est le plus enthousiaste. L’Australien prend plaisir à piloter…Dans sa fougue il alla Jusqu’à sortir une Porsche 908 à la chicane Ford ! A la vue de ces séances le pari de Lagardère paraît osé. Treize 5 litres ou 4,5 L précèdent sur la grille la Matra la mieux qualifiée, meilleur temps tout de même des 3 Litres, celle de Brabham-Cevert (3'32''200 contre 3'19''800 pour la pole de Elford-Ahrens-Porsche 917 LH). S’imposer à l’usure devenait un pronostic hasardeux.
Alfa Romeo 33/3
De fait lors des trois premières heures même les Alfa tiennent tête aux Matra. Pescarolo a été retardé par des soucis de capot avant à refixer. Depailler-Jabouille sont en retrait. Le moral est en berne même si au cours de la 5ème heure deux voitures bleues se maintiennent en 8ème et 9ème position. Au cours de la sixième heure de course la douche va être froide pour l’équipe alors que la pluie s’est invitée au dessus du circuit. Les trois voitures vont sombrer à tour de rôle victimes de segments défectueux. Cette fourniture de pièces ruine donc les espoirs de Jean Luc Lagardère. L’équipe Matra sonnée fait les valises.
On ne récrit pas le passé mais on peut commenter !
Contre toute attente et si le pari de Lagardère n’avait pas été si utopique? En Amérique du nord les moteurs avaient tenu 24 et 12 heures. En se remémorant le déroulement de la course il est concevable de penser que sans cette faiblesse anormale concernant la segmentation les voitures bleues, épargnées de soucis techniques majeurs, n’auraient pas été loin du trio final au bout de 24 heures. La course peut réserver tellement de surprises (35 abandons)… Pour revenir encore sur cette épreuve il faut noter les conditions dantesques que notamment les pilotes des autos de pointe durent affronter au cours des épisodes pluvieux. Les langues se sont déliées par la suite et le commentaire d’un des vainqueurs résume l’ensemble des révélations. Hans Herrmann : « On ne voyait plus rien, dans la rectiligne on osait tout juste mettre la troisième, on ne devait ni freiner, ni donner des gaz, ni lever le pied. Dans ces flaques, la voiture ne réagissait plus à aucun mouvement du volant. Ma décision de renoncer définitivement à la course automobile est née dans les trombes d’eau du Mans. Je me serais retiré après cette course même si je n’avais pas remporté la victoire, car la situation sous les averses devenait tellement incontrôlable que le risque était effrayant. »
Au passif de l’écurie on peut arguer que Matra en catégorie Sport engagea pour 1970 une 650 à bout de développement et une 660 qui entamait tout juste sa carrière au Mans. Une stratégie qui peut paraître irrationnelle. Ne fallait-il pas tout miser sur la dernière création dès le début de saison? La 660 bien préparée en 1971 fit une course brillante (mais malheureuse). Courir deux lièvres à la fois, Formule 1 et Championnat Sport fut cependant une lourde tâche. Matra n'est pas la seule équipe à en avoir fait l'expérience. Les moyens financiers et humains n’avaient-ils pas atteint une limite rendant les objectifs simultanés difficilement réalisables ? Pour Matra une seule bonne nouvelle en cette année permettra d’espérer. La future réglementation 3 litres en Sport-prototype placera les bleus dans une compétition à armes égales. Ce sera à l’horizon 1972. Après cette saison diamétralement opposée à la précédente, la patience du PDG Lagardère fut mise à rude épreuve.
la Porsche 917K victorieuse
PS
*Paru sur "Racing'memories" en juin 2022
Photos : DR