Formule 1 1969, la transmission intégrale en échec
L’année 1969 de Formule 1 fut marquée par des tentatives techniques qui s’avérèrent décevantes sur la piste. Le recours à la transmission intégrale paraissait pourtant avantageux sur le papier. Les problèmes de motricité engendrés par le passage de la puissance aux roues arrière poussèrent Colin Chapman chez Lotus et Derek Gardner pour le compte de Matra à se pencher (de même que quelques autres) sur le sujet…
Avantages théoriques
Deux constructeurs menèrent un travail assidu dans le domaine. Comme leurs homologues les Lotus 63 et Matra MS 84 furent étudiées et produites dans le but d’améliorer le passage de la puissance en répartissant la traction sur les trains avant et arrière des monoplaces. Un gain devait théoriquement se manifester au niveau du comportement en courbe et au rayon motricité lors des remises en vitesse en sortie de virage notamment en cas de pluie…
La transmission intégrale fit aussi l'objet de recherche chez Mc Laren et Cosworth. La Mc Laren M9A et la Cosworth 1 en sont les résultantes. Les deux autos feront des carrières météoriques, très vite abandonnées par manque cruel de compétitivité. Une seule course en Angleterre pour la Mc Laren conçue par Jo Marquart tandis que la Cosworth dessinée par Robin Herd ne passa pas le cap d'essais privés tant son sous virage catastrophique la pénalisait.
Matra MS 84 (cliquer pour "déshabiller" la MS 84)
Mc laren M9A (cliquer) Cosworth 1
Premiers pas difficiles
cliquer pour "déshabiller" la Lotus 63
Colin Chapman crée une formule 1 innovante (1). La lotus 63 a des airs de monoplace Indy. Le système Ferguson est adapté à la monoplace. De même que ses concurrentes, la boîte à répartiteur de couple et différentiel est montée au centre. Des arbres transmettent le mouvement vers les ponts avant et arrière munis aussi de différentiels. La direction est très élaborée, son créateur fonde sur elle des espoirs certains. Matra engage Derek Gardner qui s’inspire de son expérience chez Ferguson pour élaborer une transmission intégrale montée sur le châssis multitubulaire MS 84 signé Bernard Boyer. L’empattement est allongé par rapport à la MS 80, boîte de vitesse placée devant le moteur, Soixante kilos supplémentaires. Une conception moins sophistiquée que chez Lotus.
Le Grand Prix de Hollande devait être l’occasion de jauger la Lotus 63 en course mais Graham Hill la juge rétive tandis que Jochen Rindt refuse de la piloter. C’est lors du Grand Prix de France que les deux monoplaces connurent leur baptême en course. Côté Matra l’expérience tourna court. Lors des essais Stewart considère que sa tentative est infructueuse. Au volant de la MS 84, quatre secondes d’écart au tour avec sa sœur la MS 80 le convainquent de cesser de perdre du temps. Chez Lotus, on va faire preuve de pugnacité d’autant qu’un pilote, John Miles, est particulièrement chargé du déverminage de la Lotus 63. Qualifié à 12 secondes de la pole, Miles abandonne lors du premier tour à la suite d’une défaillance de sa pompe à essence.
M.Andretti
La suite sans éclat
En Angleterre Chapman qui a vendu un châssis 49B confie une 63 à Graham Hill mais l’anglais la juge toujours non compétitive. A la suite d’une négociation en sous-main Hill l’échange contre la 49B achetée par Bonnier qui accepte de prendre en charge la Lotus « intégrale ». Le patron mécontent va faire la tête jusqu’au soir de la course. Bonnier couvre six tours avant d’abandonner. Miles sur la seconde 63 finit dixième à neuf tours du vainqueur. De son côté Beltoise qui a dû céder sa MS 80 à Stewart termine neuvième au volant de la MS 84 mais à six tours du vainqueur.
Mi saison : Golden Cup : Rindt et Stewart s’y collent…
Les Anglais sont friands de Formule 1. Trois courses hors Championnat sont organisées sur leur sol en 1969. La dernière d’entre elles a lieu à Oulton Park entre les Grands Prix d’Allemagne et d’Italie. L’effectif très restreint des F1 est complété par des Formules 5000 et Formule 2 venues en renfort. Chapman réussit à persuader son plus rapide pilote Jochen Rindt d’effectuer au moins une course avec la 63. Il veut la juger aux mains d’une pointure.
Six Formule 1 sont inscrites mais Bonnier (Lotus 49B) accidenté aux essais déclare forfait. Chez Matra Stewart doit piloter la MS 84, Jacky Ickx quant à lui sera au volant de la Brabham BT 26. Deux autres anciennes F1 sont engagées par Silvio Moser (Brabham BT 24) et Charles Lucas (BRM P261). Siffert est absent de même qu'Amon (Ferrari ) et les Mc Laren Boys retenus par la CanAm. Sept F5000 et deux F2 complètent le maigre plateau. Au chapitre des F 5000, deux Surtees TS 5 font leur première apparition en course. Jackie casse son moteur aux essais. La MS 84 est remisée dans le box ! Il n’était pas satisfait de sa voiture, par conséquent pas mécontent de retrouver son habituelle MS 80 avec laquelle il conquiert la pole. Au départ Ickx prend la tête mais Stewart va rapidement passer le belge. Rindt se bat avec sa monoplace plus qu’avec ses adversaires. Stewart domine mais un fil de batterie détaché l'oblige à un arrêt qui s éternise. Il offre ainsi la victoire à Ickx. Rindt a fait preuve d’opiniâtreté, il finit second incapable de menacer Ickx mais devant les F5000 et F2. A ce stade la Lotus 63 n’est pas compétitive. Chapman constate que beaucoup de travail reste à faire pour amener la 63 au niveau des classiques « propulsions »
Le chant du cygne
Les « intégrales » ne donnent pas satisfaction. Elles sont affublées d’une lourdeur conséquente au niveau de la direction couplée avec le surplus de poids produit par les systèmes de transmission. Les arbres en mouvement engendrent un excès d'inertie. Au bilan, les inconvénients de la transmission intégrale dépassèrent sur la piste les avantages estimés par les techniciens. Le solde présenta un handicap jugé insurmontable pour l’époque et en ce qui concerne la discipline F1. John Miles a résumé plus tard la situation ainsi : "le truc était vraiment inconduisible. Terrible ! Elle virait très lentement. Il y avait tellement d’inertie dans les trains roulants - les arbres de transmission, les différentiels avant et arrière, le différentiel central -, tout cela dégradait les temps de réponse lors des accélérations ou quand on braquait dans les virages. » (John Miles, le troisième homme - Racing memories)"
Cependant Miles va poursuivre la mise au point jusqu’en fin de saison, Andretti fera deux piges pour Chapman en Allemagne et aux USA, sans succès. A la fin de la saison, le patron de Lotus renonce provisoirement (2) à la traction intégrale. Il prépare déjà une nouvelle oeuvre en explorant le domaine aérodynamique et en approfondissant la répartition des masses. Chez Matra Stewart s’est concentré sur son titre, Jean Pierre Beltoise puis Johnny Servoz Gavin se sont chargés du pilotage de la MS 84. Elle n’enchantera guère ses pilotes, le moins qu'on puisse dire. Servoz va marquer un point au Canada (à six tours du vainqueur !), meilleur résultat de « l’intégrale » française qui prend sa retraite en fin de saison. En 1970 Lagardère veut engager deux monoplaces 100% françaises et doit se séparer de Stewart. Un projet MS 124 (4 roues motrices) est envisagé mais rapidement abandonné.
1/ Colin Chapman a déjà travaillé sur la transmission intégrale qui équipait la Lotus 56 (turbine) ayant couru à Indianapolis en 68.
2 /Chapman a de la suite dans les idées, en 71 il conçoit la Lotus 56B à transmission intégrale munie d’une turbine Pratt & Whitney. Sa carrière en F1 fut de courte durée.
PS : En Europe le précurseur en matière de transmission intégrale fut Ferguson, le spécialiste dans le domaine, qui conçut l’éphémère P99 de F1 (moteur avant). Elle courut sans succès le GP de Grande Bretagne 1961 (disqualifiée pour aide extérieure) mais remporta une victoire hors Championnat aux mains de Stirling Moss à Oulton Park.Elle finira sa carrière en course de côte. En 1964 BRM récupéra la transmission Ferguson qui équipa la BRM P 67. Elle fut engagée au GP d’Angleterre, finalement l’équipe ne la fit pas courir.
Ferguson P99 BRMP67
PS
Photos : DR
* Article paru sur Racing'Memories en décembre 2018