Le manceau qui demeure dans la mémoire de tous a marqué l’Histoire du sport automobile international. Il devint le premier pilote constructeur-artisan à remporter les 24 Heures du Mans. Jean Rondeau, c’est l’histoire un peu folle d’un pilote qui a eu l’idée de construire un prototype pour affronter les plus glorieux compétiteurs sur le circuit du Mans dans la course d’endurance la plus célèbre et la plus médiatisée au monde. Revenons sur ce cheminement qui mena l’homme originaire du Mans à réaliser cet incroyable exploit.
Un projet fou
En réalité, un tel affrontement était un challenge que peu de gens auraient osé imaginer et encore moins mettre sur pied. Il allait pourtant réunir un petit groupe de passionnés compétents et construire un prototype avec un budget trop raisonnable pour tenter de vaincre notamment Porsche ou Renault Alpine. Il lui fallait de toute façon mettre le pied à l’étrier…
Les débuts
Jean Rondeau naît en 1946 dans une famille que le sport automobile ne rend pas indifférent. Tout petit, il dessine déjà des voitures de course dans ses cahiers d’école. Des soucis de santé à la suite d’une scarlatine qui atteint ses reins vont lui laisser des séquelles durables. Après avoir appris à piloter, il est finaliste du volant Shell ACO 1969. Rondeau finit cinquième du concours mais le commercial se débrouille ensuite seul pour acquérir ses autos.
Il débute sur une R8 Gordini puis s’impose dans des courses de côte régionales et en circuit routier sur une Alpine A 110. Il pilote pour la première fois aux 24 H du Mans sur une Chevron 2L en 1972.
1972
En 1974, il participe au Trophée British-Leyland en Tourisme (vainqueur) et aux 24H du Mans sur une Porsche 908 mais son idée fixe le démange. Il décide de concevoir et de fabriquer son châssis, son but est de gagner les 24 Heures du Mans avec une voiture de sa propre conception. Il réunit et dirige un petit groupe de passionnés, une quinzaine d’amis et collaborateurs, au sein de la structure nommée ATAC. Il trouve un commanditaire, le fabricant de papier peint Inaltéra qui juge le projet bien ficelé. L’initiateur de ce défi, ancien mécanicien de François Migault, a des idées précises sur le cahier des charges : une voiture simple, légère, une conception optimisée permettant des interventions rapides au stand. Un moteur V8 Ford Cosworth qui a fait ses preuves.
Le rêve se concrétise
Après des mois de travail intense les Inaltera débutent au Mans en 1976. Deux voitures de belle facture se lancent dans l’arène. Beltoise-Pescarolo finissent huitièmes et premiers de la classe GTP tandis que Jaussaud-Rondeau-Beckers terninent à la 21ème position.
En 1977, trois Inaltéra LM77-Ford Cosworth sont inscrites et la N° 88 (Ragnotti-Rondeau) termine au pied du podium, première de la classe GTP. Les deux autres voitures sont à l’arrivée (11è-13è).Un très bon résultat.
Hélas, quelques mois plus tard, c’est la catastrophe. Charles James quitte la société Inaltéra. Ce changement de main stoppe le soutien financier de Rondeau. Les voitures sont restituées à la société. Le manceau ne baisse pas les bras et au contraire retrousse ses manches, repart à la chasse aux financements aidé par des responsables locaux. Avec son groupe il construit une nouvelle voiture très proche de la première création. Il pilote avec Bernard Darniche et Jacky Haran la Rondeau M378 qui termine les 24 Heures du Mans 78 au neuvième rang, à nouveau première de la classe GTP. Un an plus tard, la M379-Cosworth de Jean Ragnotti et Darniche se classe cinquième. Pescarolo-Beltoise finissent en dixième position. La préparation des autos très soignée engendre un taux d’abandon faible, c’est tout à l’honneur de l’équipe française. Mais la petite structure court encore après le succès que se réservent les équipes usine ou semi-usine.
Victoire
En 1980 le règlement ACO évolue, les Porsche 936 et Renault A 442 ont atteint leur but. L’efficace 908, en fait une 936 adaptée qui ne dit pas son nom, reprend du service au sein de l’équipe Joest avec l’appui de l’usine. Pour l’épreuve, Rondeau dont les voitures font partie des favorites prépare trois M379 : la N° 16 pour lui-même et Jean-Pierre Jaussaud, la N° 17 belge pour les frères Martin et Gordon Spice, et la N° 15 pour Henri Pescarolo et Jean Ragnotti. En plus du cigarettier Belga Rondeau réussit à décrocher deux commanditaires pour l'appuyer : l’entreprise ITT et le magazine Le Point. Rondeau sait qu’il détient un atout dans son jeu : la fiabilité de ses voitures, mais la Porsche 908 spéciale et les 935 sont très rapides, elles ont fait leurs preuves.
Le début de la course est marqué par la pluie qui cesse peu de temps après. La Porsche 908 de Jacky Ickx parti prudemment s’empare de la tête vers 20H, pourchassée mais à distance par Jean Rondeau. Toutefois, la courroie de la pompe à injection de l’allemande casse, ce qui force Ickx à stopper et perdre la tête de l’épreuve. Malgré cet incident et après réparation, la 908 reprend la première place après une belle remontée nocturne. La voiture allemande subit une autre casse mécanique dimanche matin, le cinquième rapport de boîte. Elle perd cinq tours pour effectuer la réparation. Alors que les 935 ont cumulé les ennuis la Rondeau prend la tête pendant que la Porsche est au stand.
A la mi-journée la pluie fait des apparitions sous forme d’averses brutales. Rondeau en slick fait une série de tête-à-queue dans la Dunlop. Il cale, trois tentatives sont nécessaires pour redonner vie au Cosworth. De son côté Joest sort et frotte le rail dans le même secteur sans conséquence grave. Il a failli heurté la Rondeau dans l'aventure. Ickx prend son relais et attaque. Le belge reprend deux tours à la Rondeau. Les averses cessent. A deux heures de la fin, Rondeau épuisé cède sa place à Jaussaud. Le normand assure la victoire de la voiture française qui passe la ligne après 338 tours de piste, soit deux de plus que la 908 d’Ickx et Reinhold Joest. La Rondeau a parcouru 4608,020 km à la vitesse moyenne de 192,001 km/h. C’est la joie au Mans : un pur Manceau a gagné avec sa propre voiture ! En 1981 les Rondeau finissent sur le podium derrière une Porsche usine.
1982
L’après succès et le drame
Durant les années qui suivent, les Rondeau poursuivent leur carrière avec un peu moins de réussite. L’équipe se lance dans le Championnat du Monde des marques en 1982. Pescarolo-Francia remportent la première course à Monza et l’équipe termine à une honorable seconde place au Championnat à quelques points de Porsche. En 83, soutenu par Ford, le sarthois va essuyer un échec.
1983
La M482 à effet de sol mue par le moteur Ford 3,9L peu fiable, trop ambitieuse pour le budget de l’écurie, n’est pas compétitive. Le dépôt de bilan est prononcé mais la filiale française du constructeur US propose à Rondeau de produire des Formule Ford. L’aventure du constructeur aux 24 Heures est terminée. Jean roulera au Mans sur d'autres voitures que les siennes. Il finit second en 1984 sur une Porsche, pilote une WM en 1985. L' aventure glorieuse initiée par Jean Rondeau est aussi un parcours collectif. Le pilote manceau dut beaucoup aux gens qui ont cru en lui, l’ont suivi dans son entreprise qui paraissait bien risquée au départ. Ils sont aussi à mettre à l’honneur, parmi tous les hommes qui ont œuvré pour l’équipe Lucien Monté, Philippe Belloou, Jean Claude Thibaut, Philippe Bone et bien sûr Charles James.
Alors que Jean Rondeau tentait de relancer un projet son décès survenu le vendredi 27 décembre 1985 sur le passage à niveau de Champagné marque la fin de cette étonnante épopée.
Pour se plonger dans les détails de l’épopée Inaltera-Rondeau : les deux livres de Charles James :
Tome 1 - La preuve par 24 Heures Tome 2 - Le défi - les petits dans la cour des grands - Editions d'origine : Robert Laffont - diverses réédition depuis.
Le Mans 1980
PS
Photos : DR
*Paru sur "Racing'memories" en avril 2024