Les 1000 km de Buenos Aires marquent le lancement de la saison sport prototype en ce début janvier 1970. La course n’est pas inscrite au Championnat du Monde des Marques mais deux équipes usines y voient l’occasion de se préparer pour les futurs affrontements nord américains et européens. C’est le cas d’ Autodelta Alfa Roméo et de l’Equipe Matra sports. Le gros du plateau est composé d’équipes privées. Pour le public argentin un évènement de taille souligne cette course. La Berta LR locale va se mêler à l’affrontement des européennes. De quoi faire converger quarante mille spectateurs autour de l’autodrome de Buenos Aires.
Les engagés, les essais
L’autodrome a subi pour l’occasion un rafraichissement, Les pilotes emprunteront le grand tracé de 6,121km contournant le lac. Oreste Berta engage sa dernière création, un joli prototype mu par un 3L Cosworth livré depuis l’Angleterre. L’argentin est un self made man passionné de mécanique diplômé tout de même par trois universités dans son pays. Sa société Oreste Berta SA a pris part à différents projets liés aux sports mécaniques moto et auto en Argentine.
Sa voiture est l’attraction de la foule locale (1). David Piper s’est alloué les services de Brian Redman pour partager sa Porsche 917 k, la voiture la plus puissante du lot.
Une brochette conséquente de Porsche 908/2 privées participe à la fête. On note à leur volant Rindt-Soler Roig, Van Lennep-Laine, De Cadenet-Pairetti, Juncadella-Fernandez, Dechent-Koch, Kauhsen-Schultze, Gregory-Brostrom, Dean-Copello. De nombreuses Lola T 70 sont engagées. Parmi leurs pilotes figurent Peterson-Cupeiro, Oliver-Reutemann, Pilette- Garcia-Veiga, Jacques Rey-Berney , Craft-Attwood, Smith-Swart, Gethin-Taylor, Bonnier-Wisell, Morand-Pillon, Pascualini-Prophet. Deux Alfa 33/3 concourent aux mains de Courage-De Adamich et Galli-Stommelen. Matra engage une ancienne 630/650 pilotée par Beltoise-Pescarolo. Deux Ford GT 40 et une Serenissima MK 168 bouclent la grille.
Les locaux sont bien sûr de la partie, rappelons Reutemann, Garcia-Veiga, Pairetti, Copello, Brea, Cupeiro, Pascualini ainsi que Di Palma et Marincovich.
Lors d’essais préliminaires un des pilotes de la Berta, Oscar Mauricio Franco sort violemment et se blesse. Oreste doit le remplacer par Carlos Marincovich qu’il associe à Di Palma. Il a fallu reconditionner la voiture. A l’issue des qualifications Redman place la 917 K Piper en pole devant une Alfa 33, celle de Adamich-Courage. La Berta est véloce, ses pilotes l’ont hissée en troisième position. Une belle performance d’autant qu’à haut régime le Cosworth cafouille obligeant les pilotes à ne pas le solliciter au maximum. Rindt et Soler Roig quatrièmes ont bien exploité les qualités de leur 908/2. Suivent Gregory-Brostrom* (Porsche 908), Stommelen-Galli (Alfa),V. Lennep-Laine (Porsche 908), Wisell-Bonnier (Lola T70). Beltoise-Pescarolo, neuvièmes n’ont pas forcé en attente de Good-year neufs bloqués en douane. Ils devancent la Lola T70 de Oliver-Reutemann. La deuxième moitié de la grille des 25 qualifiés est composée du peloton de T70, 908/2, GT 40 et de la Serenissima.
*Brostrom est sorti lors des essais, se blessant et endommageant sa voiture qui ne prendra pas le départ.
La course
Une belle chaleur d’été austral baigne l’autodrome argentin lors du départ que domine la Porsche de Redman suivie des deux Alfa, de la Berta et la 908 de Rindt. Le public est ravi de voir évoluer « son auto » parmi les meilleures européennes. Malheureusement la voiture d’Oreste Berta est rapidement victime d’un problème de suspension arrière. Ce souci va stopper prématurément la belle argentine après 28 tours couverts au grand dam des spectateurs (1). Le festival de la Porsche 917 tourne court, elle ne va pas tenir ses performances suite à des problèmes de pneus puis de suspension. La voiture allemande abandonne au cinquante-huitième tour. A partir de ce stade l’explication entre les Alfa 33 et la Matra va concentrer l’intérêt de la course. Les Porsche 908 privées sont dominées.
Elles se cantonnent derrière les italiennes et la française. Beltoise et Pescarolo chaussés de neuf sont partis prudemment mais sont montés crescendo au fil des tours. L’équipage français est troisième au 40ème tour. Il pointe premier au tour 60 en bagarre avec Courage-Adamich. Ces derniers reprennent le dessus mais sont pris en chasse par la Matra. L’équipage anglo-italien résiste, toujours en tête à l’approche du tour 90, une minute le sépare de la voiture bleue. Rindt et Soler Roig, le duo le plus rapide au volant d’une 908, a pris maintenant la troisième position après un arrêt prolongé au stand de l’Alfa de Galli-Stommelen victimes d’une rupture de suspension. C'est en évitant Beltoise parti en tête à queue sur l'huile déposée par une GT 40 qu'eut lieu l'incident. L'Alfa va d’ailleurs stopper définitivement au 108ème tour.
Passé le quatre-vingt dixième tour la seconde Alfa de tête rentre soudain au stand, soupape cassée sur un cylindre. Les pilotes poursuivent sur 7 cylindres mais la perspective d’une victoire s’envole. Côté spectateurs une partie du public a déserté l’enceinte du circuit dégoûtée par le retrait de la Berta. Les français ont donc pris le pouvoir, ils possèdent un tour d’avance sur la 908 de Rindt-Soler Roig. Il reste plus de soixante dix tours à accomplir. Les deux duettistes n’ont cependant pas de répit, il n’est pas question de se déconcentrer d’autant que la chaleur sollicite les organismes. Les 908 derrière sont prêtes à profiter de toute opportunité.
La Matra fera résonner son V12 jusqu’au drapeau à damier. Beltoise a fourni l'une de ses plus belles courses, il est épuisé, El Ganador a dû assurer en pilotant plus que de coutume pour compenser la méforme de Pescarolo malade. La plus haute marche du podium les attend. Derrière finissent deux Porsche 908 à respectivement un tour et quatre tours (Rindt-Soler Roig et Dean-Copello) tandis que Pilette-Garcia Veiga se classent au quatrième rang sur une Lola T 70. Ensuite De Cadenet-Pairetti (908) terminent cinquièmes devant l’Alfa boiteuse de Adamich-Courage à 11 tours (2). Les pilotes argentins ont fait bonne figure sur leur terre où un coq exotique a chanté.
Henri Pescarolo au 1/43 ème et Jean Pierre Beltoise
(1)Faute de financement l’aventure internationale du premier prototype Berta se termina après une seconde course et un abandon sur le Nurbürgring. Berta se cantonna alors à produire et courir en Amérique du Sud. Il conçut un V8 équipant une Formule 1 maison en vue de la saison 1975 mais ne put concrétiser le projet coûteux d’un engagement en F1.
(2) L’équipage va prendre sa revanche le weekend suivant en remportant les 200 miles de la Temporada (Beltoise-Pescarolo 3èmes).
PS
Photos: DR
* Paru sur Racing'memories en décembre 2021